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LES CHRONIQUES DE CLARA: Et derrière nous, le silence, de Nancy Guilbert

Je m’apprête à vous présenter Et derrière nous le Silence, de Nancy Guilbert, et ça change de mes lectures ordinaires. Je suis majoritairement une adepte de lectures fantastiques, fantasy ou de science-fiction, adulte et jeunesse. J’ai du mal à concevoir qu’on puisse regarder la littérature jeunesse et young-adult comme un sous-genre méprisable, et pourtant ça arrive encore.

Je ne vois pourtant rien de plus important que d’offrir aux adolescents une littérature complexe, complète et diversifiée: à ce moment de la vie où tous les repères basculent, il est à mon sens primordial de pouvoir leur donner de quoi s’accrocher et s’inspirer. Outre le fait que quelqu’un de 13 ans sait parfaitement réfléchir et que donc non, la littérature jeunesse n’est pas faite pour les débiles et les immatures, certain.e.s auteur.e.s font ça très bien et produisent des romans splendides.

Nous en arrivons au pourquoi du comment: le fantastique est pour moi un allié de choix pour faire passer tout un tas de messages, mais il arrive que certains sujets nécessitent qu’on aille droit au but.
Les violences infantiles et adolescentes font partie de ceux-là.
C’est un thème qui me « passionne », comme la santé mentale, l’éducation associée et les valeurs sociales.
C’est exactement là que se place ma lecture, et c’est un gros coup de cœur:

Adieu le harcèlement du collège et les soucis à la maison ! Ellie le sent : aux côtés de sa cousine Lola pour son entrée au lycée, elle sera in-vin-cible. Lumineuse Lola, si pétillante de vie… manipulatrice, aussi.
Au coeur de la montagne voisine, le regard de Jeff se pose avec détermination sur Stefan, son grand frère adoré de tous… et un prédateur. Oubliés les liens du sang, Jeff n’a plus qu’un objectif : venger Lou.
Collège, liberté… tout ce qui faisait le quotidien n’est plus pour Yüna qu’un souvenir dans cette chambre où son tortionnaire, celui qu’elle appelait  » papa « , la retient prisonnière.
Au bord du précipice, ces adolescents réduits au silence parviendront-ils à se faire entendre ?

Je vous avais prévenus, ça envoie du lourd! Dans ce roman chorale à trois voix, nous suivons Ellie, Jeff et Yüna avec qui la vie n’a définitivement pas été clémente. Adressé à un public « à partir de » la jeunesse, c’est pourtant un roman que j’aimerais mettre dans les mains de tous les adultes pour en éveiller certains et permettre à d’autres d’aborder des sujets difficiles avec leur enfant.

Attention toutefois, si l’écriture est amputée des passages difficiles afin d’être abordable elle n’en reste pas moins fort dérangeante et anxiogène parfois (le roman est qualifié de thriller). Elle ne saurait évidemment pas non plus être mise à la légère entre les mains d’adolescents/adultes ayant subi un des sévices dont on parle sans en avoir discuté au préalable, et on en aborde beaucoup:
Harcèlement scolaire, trahison familiale, anorexie.
Harcèlement sexuel, discrimination pour origine sociale et isolement associé, colère vengeresse qui pousse aux actes sans retour, tribunal infantile.
Enlèvement parental, séquestration, manipulation psychologique par un adulte, meurtre.
Ça fait déjà une belle brochette et c’est sans compter ce qui sous-tend les trois histoires: la violence intrafamiliale.

Ces trois adolescents que tout sépare à première vue vivent ce que beaucoup endurent: personne ne les prend au sérieux ni même ne les écoute. « Elle t’embête? C’est ta cousine, elle n’a pas fait exprès, arrête ton cinéma ». « Pourquoi tu es comme ça avec ton frère? Il est adorable, gentil avec tout le monde et si serviable ». « Tu sais, je fais ça pour ton bien ».
Des phrases anodines en apparence, mais qui sur le fond sont plus destructrices encore que d’être ouvertement le bourreau.
Ellie, Jeff et Yüna sont amenés à ne compter que sur eux-mêmes dans un monde où on les bâillonne, et c’est ainsi, silencieusement, qu’ils peuvent en arriver au pire.

Les chapitres sont courts et très immersifs. L’écriture est rythmée, les faits et réactions réalistes. On ne voit pas passer les pages et si on en redemande, c’est davantage parce qu’on a le cœur qui souffre et que l’on veut savoir si tout le monde va s’en sortir plutôt que pour se divertir.
J’en ai eu des frissons et j’ai bien failli pleurer. Les sujets sont graves et on n’en parle pas encore assez (on n’en parlera jamais assez). C’est dur, on a envie de les prendre dans nos bras et de leur dire que ça ira parce qu’on n’a pas envie de se rendre compte que ce qu’ils vivent arrive encore tous les jours et qu’on ne les écoute pas.
C’est bien connu, à l’adolescence on en fait des tonnes et on en rajoute.
Ou pas.

Écouter les voix qu’on n’a pas envie d’entendre, parce que nous, adultes, on en a les moyens et on a les leviers qu’ils n’ont pas, est d’une importance capitale.
Les deux dernières choses qui méritent très fort d’être relevées selon moi sont la note à l’attention des adultes, à la fin du roman, et le choix spécifique de Jeff qui s’élève contre le harcèlement sexuel commis par son frère: un garçon contre un homme face à une maltraitance commise par un homme sur une femme. Ça, c’est un vrai message qui a encore besoin de passer.

Et derrière nous le Silence, c’était une de mes meilleures lectures de 2022 pour le moment! (Mais attendez de voir la prochaine…)

C.

2 réflexions au sujet de « LES CHRONIQUES DE CLARA: Et derrière nous, le silence, de Nancy Guilbert »

    1. Merci à toi pour ton passage!
      J’ai beaucoup aimé le fait que l’autrice écrive « de l’intérieur », c’est à dire qu’il y a certaines choses que je n’ai pas forcément vues venir parce que le personnage non plus. Et c’est une fois qu’il y a une intervention extérieure que ça t’éclate à la figure, c’est très bien fait.

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